mardi 8 juillet 2014

Plaidoyer pour le supporter



On s’est souvent moqué des supporters. Avant la Grande Victoire de 1998, mais aussi après. Les gens ont la mémoire courte. Quand les Bleus ont remporté cette finale historique contre le Brésil, tous les Français étaient devenus fans de foot (comme ils étaient tous Américains après le 11 septembre 2001), tous vantaient les mollets de Dugarry, tous voulaient appeler leur progéniture Zizou ou Bixente, tous rêvaient d’avoir la coupe de cheveux de Barthez. Les vrais supporters, eux, voyaient arriver cette foule de néophytes hystériques avec bienveillance d’abord, puis avec lassitude. Être obligé d’expliquer dix fois de suite la règle du hors-jeu ou la différence entre un penalty et un « six mètres », vous avouerez qu’il y a de quoi balancer quelques coups de crampons dans quelques gueules.

Mais enfin, les supporters avaient le droit d’exister, et de ne plus être considérés comme des veaux amorphes remplis de bière et de préjugés racistes. C’était un bon début.

Et puis, le temps a passé, la victoire a été oubliée, les Bleus se sont fait éliminer en 2002, et malgré tous les efforts qu’ils ont pu faire par la suite, on était habitué à mieux. Désormais, c’était champion du monde ou rien ! Et on ne la voyait pas encore briller, leur deuxième étoile… Alors, ceux qui avaient eu un léger sursaut d’enthousiasme en 98 se sont à nouveau désintéressés du ballon rond, et l’image du gros beauf de supporter est revenue en force. Comme si aimer le foot, c’était forcément posséder le quotient intellectuel d’une huître !

Si le supporter est dénigré à ce point, c’est qu’on le connaît mal. Il est temps d’y remédier. Qui es-tu, supporter, derrière ton maillot bleu et rouge en lycra masquant mal tes bourrelets ? (Nous n’évoquerons pas ici la supportrice, parce que c’est un peu trop compliqué.)
Les supporters sont nos amis

Le supporter commence tout petit à aimer le foot. En général, d’ailleurs, il prend très vite une licence dans son club local, et joue déjà en minime alors qu’il n’est guère plus grand que le ballon. Son rêve, en cet âge tendre, est d’un jour devenir un grand joueur. Il a des idoles : José Souto et François Omam-Biyik (s’il est Lavallois dans les années 80, bien sûr. Mais vous pouvez adapter selon vos désirs avec un Jean-Claude Suaudeau 1966 ou un Tony Vairelles 2002). Mais aussi Michel Platini, Alain Giresse, Dominique Rocheteau, Zinedine Zidane, Lionel Messi…

Le supporter en culottes courtes (qui vous répondra, sur un ton agacé, que « c’est un short, putain ! ») collectionne les vignettes Panini. Évidemment, lorsque je parle des vignettes Panini, il s’agit des figures de footballeurs ! Afin de plaire au plus grand nombre de gens, l’entreprise Panini avait eu la grande idée de décliner ses beaux albums d’images selon des thèmes aussi variés que possible. Ainsi, les enfants qui préféraient les dessins animés ou les séries télévisées aux compétitions sportives pouvaient demander à leurs parents de leur offrir l’album d’Albator, celui de Candy ou de Tom Sawyer.
Okay, toi, tu finiras seul

C’était mon cas. Je peux donc témoigner, aujourd’hui, à visage découvert, de ce calvaire que la plupart, avec l’âge, ont préféré refouler dans les pénombres rassurantes de l’inconscient.

Non, parce que lorsque mon frère achetait l’album Panini de la saison de foot en cours, il savait que ses copains, qui jouaient tous dans la même équipe à l’USL, avaient acheté le même album. Ils pouvaient donc s’échanger leurs vignettes en double et compléter rapidement le cahier, au moins aux trois-quarts (il reste toujours les dernières petites vignettes chiantes qu’on ne trouve jamais, sauf en les commandant directement chez Panini…). Tandis que moi, lorsque j’achetais l’album d’Ulysse 31, comment je pouvais échanger mes putains de doubles, et même mes « brillantes », avec ce con de Ludovic qui avait acheté Cobra ou Les Mystérieuses Cités d’Or ? Et après ça, on se demande comment ça nous vient, la solitude…

En grandissant, le supporter s’aperçoit qu’il aime la bière et la clope à peu près autant que le foot, et renonce donc tout naturellement à la professionnalisation. Il ne fera pas carrière au Stade Lavallois. Au mieux, il continuera, la trentaine bien sonnée, à évoluer chez les vétérans au club de foot de La Chapelle-Anthenaise ou à celui de Montreuil-Poulay.
La Coupe du Monde des copains

Parallèlement à sa passion pour le ballon rond, il lui faut donc gagner sa vie. Le supporter de foot trouve alors un emploi et même, à l’occasion, une femme. Il fonde une famille et espère bien qu’il trouvera parmi ses rejetons au moins un qui éprouvera le même intérêt que lui pour le foot. À première vue, donc, le supporter est une personne comme vous et moi. Un peu plus comme vous que comme moi, mais à peine.

D’ailleurs, en dehors de la saison de foot, dans ces interstices entre la Coupe du Monde, l’Euro et la Ligue des champions, le supporter de foot se distingue assez mal parmi la foule. Certes, il s’ennuie, son œil est terne, sa bouche est triste – mais il ressemble en cela à de nombreux autres neurasthéniques qui n’ont jamais mis les pieds dans un stade ! Le supporter peut être votre voisin de palier, votre collègue de travail, votre dentiste ou même votre coéquipier au tennis – car certains poussent le vice jusqu’à cumuler plusieurs passions coupables !

Au fond, il n’y a vraiment que durant un match de foot que le supporter paraît ridicule, voire idiot, qu’il peut vous sembler, dans ses beuglements, se rapprocher de l’animal, qu’il peut vous ennuyer profondément et vous faire douter de la clairvoyance de Dieu le jour où Il a créé l’humanité. Et un match, au fond, ça dure quoi ? Quatre-vingt-dix minutes ? Allez, deux heures avec les prolongations ? Et c’est pour ça que vous râlez ? On peut pas juste avoir la paix deux putains d’heures, non, c’est trop demander ? À quoi ça a servi d’acheter un lave-vaisselle, alors ?...

Le supporter vit avec son équipe, et meurt avec son équipe. Et ça, les gonzesses, elles sont pas foutues de le comprendre.

Une sympathique chanson de supporter

Raphaël Juldé



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