jeudi 26 juin 2014

Eric et les liens fraternels


Où l’auteur la joue mélo pour que les gens
se disent que FIFA PAPA,
ce n’est pas que de la rigolade,
des fois, y’a aussi
des trucs biens.


Puisque la France s’est qualifiée sans grande surprise pour les huitièmes de finale, on peut se détendre un peu. C’est déjà ça de fait. Maintenant, on va tâcher d’aller le plus loin possible dans la compète, toujours plus haut toujours plus fort, tout ça tout ça. En attendant, on se calme, on fait retomber la pression, on discute au coin du barbecue, bien tranquille.

Tiens, puisque vous êtes là et que je n’ai rien de mieux à faire, je vais encore vous parler de moi. Et de mon rapport étroit avec le football. Car, malgré tout ce que j’ai pu vous raconter jusqu’à présent, je suis comme des millions de petits Français : je suis né au milieu d’un grand stade de foot. Impossible d’y échapper, avec un frère aîné quasiment né gardien de but, qui se jetait dans la boue dès que la boule de cuir approchait un peu de ses cages… Vous vous souvenez comme les terrains de sport de notre enfance étaient boueux ? Je ne sais pas comment les joueurs professionnels font pour rester à peu près clean jusqu’à la fin du match. Je veux dire, on discerne encore la couleur de leur maillot, on peut encore lire le nom des sponsors : à croire que la terre s’est solidifiée avec le temps. La gadoue, c’est dépassé. Donc, oui, comme tout le monde, je suis né au beau milieu d’un stade de foot. Simplement, moi, je n’ai jamais joué le ballon. J’ai tout de suite opté pour le banc de touche, et un bon bouquin. De préférence un roman, ou une bonne BD.

Vous connaissez Éric Castel ? Non, personne ?... C’est drôle, plus personne ne se souvient du footballeur né des talents conjugués de Raymond Reding et Françoise Hugues. Il faut dire que cette série de bandes dessinées était surtout connue en Belgique. Mon frère et moi-même, nous n’en aurions sans doute jamais entendu parler si une de nos tantes ne s’était exilée dans la banlieue de Liège, à Heure-le-Romain. Un jour, pour faire plaisir au frangin dont elle connaissait la passion (passion d’autant plus exacerbée qu’à l’époque, dans les années 80, le Stade Lavallois valait son pesant de merguez-frites), elle lui a fait découvrir le premier album de la série : Éric et les Pablitos.

Ah ! Éric Castel !... Incontournable joueur du Barça aux cheveux d’une blancheur immaculée, qui plusieurs albums plus tard (voir n°8 : La grande décision) évoluera sous les couleurs du Paris-Saint-Germain. Dans le premier épisode, Castel, nouvelle recrue du club de Barcelone, se lie d’amitié avec une bande de gamins après avoir par accident crevé leur ballon qui traversait la route. Pour se faire pardonner, il leur en offre un tout neuf, et un ballon de professionnel, s’il vous plaît, et échange même quelques passes avec eux (en leur en mettant plein la vue). C’est en regardant la retransmission d’un match du Barça à la télé que le petit Pablito reconnaît le señor Castel et son jeu de jambes de malade.

Mon frère et moi, c’était le jour et la nuit. Lui, passionné de sport, ne ratant pas un match à la télé, traînant avec sa bande de copains dès sa plus tendre enfance. Moi, incapable de suivre un match, ne comprenant pas pourquoi autant de gens pouvaient avec un tel enthousiasme contempler une pelouse verte pendant une heure et demie, passant des heures enfermé dans ma chambre à dessiner, à lire et à écrire, ne voyant personne… Sortez vos mouchoirs, les copains : c’est avec Eric Castel qu’on se retrouvait. Le foot et la BD : voilà que nos deux univers se faisaient l’accolade. Oh, bien sûr, il nous arrivait aussi d’échanger quelques balles, dans notre jardin de la rue Raymond-Garnier, mais je me rendais toujours sur le terrain de mauvaise grâce, et je n’étais pas un adversaire très intéressant (autant dribbler un ours en peluche).
L'auteur, encombré d'un ballon (vers 1988-89)

D’un côté, les albums d’Eric Castel permettaient à mon frère de montrer que, eh oui, il lui arrivait de lire autre chose que le magazine Onze. Et moi, j’arrivais à assimiler quelques bribes du jargon footballistique, même si je demeurais un élève peu doué. Mais ça me plaisait, ça nous plaisait, les aventures de Castel, et on était toujours impatients d’avoir la suite ! Si Internet avait eu la bonne idée d’exister à cette époque, entre la fin des années 80 et le début des années 90, on aurait pu se procurer tous les albums parus d’un simple clic sur Amazon. Mais là, il fallait attendre les occasions, les fêtes de Noël ou l’anniversaire du frangin… Ça maintenait le suspense.

Alors on suivait de loin en loin la progression d’Eric Castel au Barça, et celle du jeune Pablito chez les « alvins », l’équivalent espagnol des minimes. Je suppose que ça, ça parlait tout particulièrement à mon frère qui en était un, de minime. Moi, j’aurais pu être totalement à la ramasse, mais non : à moi aussi, ça me parlait. C’est même une époque où j’aurais pu, moi aussi, me prendre de passion pour le football. Grâce aux personnages de Raymond Reding, déjà, j’étais capable de reconnaître le maillot de Barcelone, celui de Nantes, celui du PSG… Et quand mon frère regardait un match de foot à la télé, je m’installais sur le canapé, moi aussi, et j’attendais le moment où un joueur ferait un retourné acrobatique, une volée ou une tête plongeante aussi classes que ceux de la BD. Mais ça, ça n’arrivait pas toujours. Et les albums d’Eric Castel étaient remplis d’ellipses, un match se résumait à quelques temps forts sur une ou deux planches… Pour arriver à ces temps forts, dans la réalité, il fallait quand même supporter pas mal d’échanges de balles, de passes inabouties, et suivre toute une construction de jeu un peu trop technique pour moi. Je n’arrivais pas à suivre le ballon, je ne reconnaissais pas les joueurs (et j’admirais intérieurement les commentateurs qui, eux, y parvenaient sans difficulté), et assez vite, je m’apercevais que, malgré ma bonne volonté, je m’ennuyais à mourir. Comme avant Eric Castel, finalement.
Un coup à se choper une élongation

Le foot et moi, ça restera donc un rendez-vous raté. J’en suis le spécialiste, remarquez. Au fond, la vie me paraît toujours plus agréable passée au tamis de la fiction. La Tour Eiffel est toujours plus impressionnante en carte postale. Quand vous êtes devant elle, que vous lorgnez sous sa jupe de fer, bon, okay, c’est une tour, quoi. C’est ça, mon problème, avec la vie : je voudrais qu’elle ressemble à l’idée que je m’en fais. Eh non, la vie il arrive que ce soit comme le football : pénible. Des fois on marque des buts, et des fois on se prend un carton rouge, comme pourrait me dire un ami supporter qui chercherait à jouer les philosophes…

Mais au moins, il y a eu ce petit moment où mon frère et moi, on a partagé le même intérêt pour la même bande dessinée. Je suis sûr qu’il doit toujours avoir la collection chez lui (et elle doit valoir une petite fortune, maintenant). Par la suite, j’ai bien essayé de m’intéresser à ses jeux vidéo – même aux jeux de sport – mais ça n’a pas été très concluant. J’étais vraiment trop nul.


Raphaël Juldé – La nostalgie, camarade

1 commentaire:

  1. Je conseille à Raphaël et à toutes les personnes qui ont apprécié sa charmante évocation d'Eric Castel de se rendre sur la page Facebook consacré à son créateur, Raymond Reding.

    https://www.facebook.com/pages/Raymond-Reding/390197571054490

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